"Pour un diwan de la porteuse d'eau"
Poème d'Assia Djebar
Endormie, je suis l’endormie et l’on m’emporte, qui m’emporte…
Endormie, je suis l’endormie et mon corps on l’emporte…
Je suis – suis-je -, je suis la dévoilée…
Je suis - suis-je -, je suis l’Exclue…
C’est moi - moi ? C’est moi qu’ils ont exclue,
moi sur laquelle ils ont lancé l’interdit
C’est moi - moi ? - moi qu’ils ont humiliée
Moi qu’ils ont encagée
Moi qu’ils ont cherché à ployer,
Leurs poings sur ma tête,
Pour me faire couler droit,
Jusqu’à la strate du mal face de singe,
Moi dans les marbres du malheur sourd,
Moi dans les rocs du silence de voile blanc…
Moi, c’est moi qu’ils ont voulu étouffer,
Happer à partir du trou de feu,
Qu’ils ont crue de peau marquée à vif
et béante de cicatrices ouvertes,
moi, est-ce moi ?...
Moi, j’étais celle qu’on prétendait marier
dans l’aurore du monde
Endormie, j’étais endormie et l’on m’emporte, qui…
J’étais, j’étais la mariée de l’aurore du monde…
Porteuse, porteuse d’eau
pour finir, dans des trous fumant des vapeurs…
Porteuse, je veux de l’eau…
De l’eau bouillante !...
Porteuse, porteuse d’eau…
Moi - est-ce vraiment moi ? – car ils ont voulu m’enfoncer,
Ils ont prétendu me plonger,
Tête la première,
dans la croûte noirâtre du mal face de singe…
Je suis – qui suis-je ? – je suis l’exclue…
Poème d’Assia Djebar, Femmes d’Alger dans leur appartement, Interlude III, p. 108-117. Edition de référence: Le Livre de Poche.
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