Entrevista aparecida en Horizons, diario de Argelia

Entrevista a Carlos Alvarado de Farida Belkhiri para el suplemento de cultura de Horizons (Argelia), aparecida el 16/12/2008.
*
CARLOS ALVARADO, POÈTE ET TRADUCTEUR ARGENTIN
«La littérature francophone est celle qui a émergé après la fin des colonies»
La littérature algérienne se construit sur le «silence» et il faudrait une «clé» pour pouvoir l’interpréter. C’est ce que le poète et chercheur argentin, spécialisé dans la littérature francophone, Carlos Alvarado, a déclaré dans son intervention lors de la première rencontre internationale sur la traduction littéraire qui s’est tenue du 2 au 05 décembre derniers à Alger.

Dans cet entretien, l’auteur argentin fournit plus de détails sur la traduction de la littérature algérienne en affirmant que la clé dont il parle se trouve dans la culture algérienne. Il évoque aussi Nedjma, le roman de Kateb Yacine qui, selon lui, a refaçonné la littérature algérienne et exprime son admiration pour Mohamed Dib et Assia Djebar.
Qu’est-ce que vous entendez par le «silence» qui serait présent dans l’œuvre littéraire algérienne ?
Dans l’œuvre littéraire algérienne, il faut toujours faire attention à ce qui ne se dit pas, à cette autre chose, à ce côté spirituel, mystérieux qui fait allusion à des choses qu’on ne voit pas, qu’on ne connaît pas. Il y a tant de métaphores ! Il y a aussi ce silence devant des choses que les auteurs ont du mal à évoquer. Dans l’œuvre littéraire algérienne, on a du mal à parler de la femme par exemple. Même Mohamed Dib le dit. Il dit que le silence est présent dans le texte littéraire algérien et que pour comprendre ce silence, il faut trouver une sorte de clé qu’il faut chercher dans la culture algérienne.
Est-ce que vous pensez que les traducteurs de la littérature algérienne ont trouvé cette clé ?
Je ne suis pas sûr. Je n’ai pas lu beaucoup de traductions mais cela m’étonnerait qu’ils aient trouvé cette clé. Quand vous prenez par exemple le titre de l’œuvre d’Assia Djebar, «Vaste est la prison» et le traduisez en espagnol «la grande prison», cela n’a aucun sens. Le titre de Assia Djebar véhicule tellement de choses. Ces choses-là, c’est dans la culture algérienne qu’il faut les trouver. Il faut se rapprocher de l’autre, aller vers l’autre, lire sur l’autre et la culture de l’autre pour arrêter d’être «l’autre», comme le dit justement Mohamed Dib. Connaître l’autre, c’est cela la clé.
Dans votre intervention, vous dites que le roman Nedjma de Kateb Yacine est algérien dans le contenu mais français dans la forme ; n’est-ce pas un peu paradoxal?
Nedjma de Kateb Yacine est le premier roman algérien qui dit les choses autrement. Avant Kateb Yacine, les auteurs algériens suivaient le modèle du roman français. Kateb Yacine a refaçonné le roman algérien, la littérature algérienne. Mais dans ce roman, les codes littéraires algériens se mélangent aux codes littéraires français. Kateb utilise la langue française pour exprimer tout ce qui est algérien. Il le disait d’ailleurs : la langue française est un butin de guerre. Evidemment, quand nous utilisons une langue étrangère, cela influe sur le contenu. Quand nous n’utilisons pas la langue maternelle, nous avons toujours cette impression qu’il manque quelque chose à notre œuvre.
Lors de la rencontre internationale sur la traduction littéraire, on a affirmé que la littérature algérienne est difficile à classer ; qu’en pensez-vous ?
Je pense que la littérature francophone d’une façon générale est très difficile à classer. Qu’est-ce que d’abord la littérature francophone ? Aujourd’hui, tout le monde se dit francophone, les Belges, les Québécois,…Ils ne le sont pas pour moi. Pour moi, la littérature francophone est celle qui a émergé après la fin des colonies.
Quand on parle de globalisation, de mondialisation, est-ce important de soumettre la littérature à la classification ?
A mon sens, non. Ce n’est pas important. Le classement ne nous mène à rien. Mais l’homme veut toujours le faire. Je crois toujours qu’il y a une troisième voix qu’il faut chercher. Il ne faut pas s’arrêter à l’une ou à l’autre. Dans la culture égyptienne par exemple, il y a toujours une troisième voix. Entre l’homme et la femme, il y a l’amour, entre Dieu et l’homme, il y a le pharaon…
Est-ce que les œuvres littéraires algériennes sont traduites en Argentine ?
Il y a pas mal d’auteurs algériens qui sont traduits en espagnol. Mais malheureusement, ces traductions ne nous arrivent pas en Argentine. Les œuvres algériennes s’arrêtent en Espagne. En plus, les ouvrages traduits sont trop chers pour nous. Mohamed Dib est l’un de mes auteurs préférés. C’était un homme qui analysait non seulement ses œuvres mais aussi celle des autres. Il était d’une logique incroyable et son analyse sur la littérature maghrébine est incomparable. J’admire aussi Assia Djebar que je traduis, je dois l’avouer, en tant que traducteur amateur.
Entretien réalisé par Farida Belkhiri. HORIZONS 16-12-2008

Comentarios